Soudan
La réintégration du Premier ministre soudanais après des semaines d'assignation à résidence est la plus grande concession faite par l'armée depuis son coup d'État du 25 octobre, mais elle laisse la transition vers la démocratie embourbée dans la crise.
Dimanche, les militaires ont conclu un accord avec Abdallah Hamdok le réintégrant à la tête d'un nouveau cabinet technocratique avant d'éventuelles élections. Mais l'accord a suscité la colère du mouvement pro-démocratique, qui l'accuse de jouer le bouclier pour le maintien du régime militaire.
La majeure partie de la communauté internationale a condamné le coup d'État et appelé à un retour à un régime civil, au moins partiel. Les Forces pour la déclaration de la liberté et du changement, un groupe de coordination des partis politiques soudanais et des organisations pro-démocratie, a rejeté l'accord et dit qu'il reste engagé à mettre fin au régime militaire.
Mais l'armée se méfie de la remise du pouvoir aux civils, qui pourrait exposer les hauts gradés à des poursuites pour des violations de Droits de l'homme remontant à plusieurs décennies, ou relâcher l'emprise des généraux sur les secteurs lucratifs de l'économie.
Réintégration du Premier ministre
Les militaires étaient au pied du mur. Le général Abdel-Fattah Burhan est soumis à une pression croissante depuis qu'il a pris les pleins pouvoirs le 25 octobre. Des nations occidentales, arabes et africaines ont appelé à un retour à un régime civil, et les États-Unis ont suspendu une aide de 700 millions de dollars tout en condamnant fermement le coup d'État.
Les Soudanais ont envahi les rues lors des plus grandes manifestations depuis celles qui ont mis fin au règne de trois décennies d'Omar el-Béchir en 2019, et les forces de sécurité ont tué plus de 40 manifestants depuis le coup d'État.
Les généraux ont présenté la réintégration d'Abdallah Hamdok comme une étape vers la stabilisation du pays avant les élections prévues en juillet 2023, et la communauté internationale a accueilli l'accord avec prudence. Le mouvement pro-démocratie a rejeté avec colère l'accord comme légitimant le coup d'État et a promis de continuer à organiser des manifestations de masse.
Fin du Coup d'Etat ?
Les militaires conservent le contrôle global du pays et, en prescrivant un cabinet technocratique, l'accord met davantage à l'écart les partis politiques soudanais et le mouvement de protestation pro-démocratique. "Je ne pense pas qu'il soit possible pour le gouvernement d'Abdallah Hamdok de fonctionner du tout, car il n'est pas reconnu dans la rue", avance Jihad Mashamoun, chercheur et analyste politique soudanais.
L'Association des professionnels soudanais, qui a pris la tête des manifestations contre Omar el-Béchir, a condamné le dernier accord comme une tentative de légitimation du coup d'État. Les comités de résistance locaux, qui ont également joué un rôle clé dans les récentes manifestations, exigent que l'armée se retire complètement de la politique.
L'armée affirme elle qu'il n'y aura pas de retour au gouvernement de partage du pouvoir qui existait avant le 25 octobre et qui était déchiré par des rivalités internes. Le coup d'État a eu lieu quelques semaines avant que les militaires ne soient censés céder le pouvoir à un civil.
Nafisa Hajar, avocate spécialisée dans les droits humains et directrice adjointe de l'Association du barreau soudanais du Darfour, estime que l'installation d'Abdallah Hamdok sous contrôle militaire va à l'encontre des demandes du mouvement de protestation, mais que l'usage de la force par les généraux contre les manifestants n'a pas laissé beaucoup de choix au Premier ministre déchu. "Cet accord est maintenant devenu le statu quo", déclare-t-elle.
Campagnes de terre brûlée
L'armée soudanaise veut se protéger. Un gouvernement élu chercherait probablement à poursuivre les généraux pour des violations de Droits de l'homme, notamment celles commises pendant les campagnes de terre brûlée d'Omar el-Béchir contre les rebelles du Darfour - pour lesquelles la Cour pénale internationale l'a accusé de génocide. Ils pourraient également être inculpés pour les meurtres de manifestants perpétrés ces dernières années.
L'armée craint également de perdre son emprise sur les mines et d'autres secteurs économiques clés. "Abdallah Hamdok risque d'être l'homme à la caisse de l'épicerie qui vend du savon, des allumettes et des snacks, tandis que les trafiquants de drogue dans l'arrière-boutique font les véritables affaires", clame Alex de Waal, spécialiste du Soudan à l'université Tufts. "Le coup d'État a été mis en scène pour protéger les kleptocrates du nettoyage, et l'armée entend clairement que la nouvelle formule soit un retour à l'opération de blanchiment d'argent avec un visage plus respectable."
Réaction de la communauté internationale
Le coup d'État a été largement critiqué au niveau international, mais les généraux ont des amis influents. Les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite et l**'Égypte** ont cultivé des liens étroits avec le général al-Burhan depuis le soulèvement contre Omar el-Béchir et considèrent probablement les généraux comme le meilleur espoir de maintenir un gouvernement stable et amical à Khartoum.
Les riches États du Golfe les considèrent comme un rempart contre l'influence de rivaux comme la Turquie et le Qatar. L'Égypte espère le soutien du Soudan dans son conflit de longue date avec l'Éthiopie concernant la construction d'un énorme barrage en amont sur le Nil.
Israël est également considéré comme un allié potentiel des généraux, qui ont joué un rôle déterminant dans la normalisation des relations entre le Soudan et Israël l'année dernière, en échange du retrait de ce pays de la liste américaine des États soutenant le terrorisme.
Abdallah Hamdok avait exprimé des inquiétudes avant la signature de l'accord de normalisation, qui fait partie des "accords d'Abraham", affirmant qu'un changement de politique étrangère de cette ampleur ne devrait être signé que par un gouvernement élu.
Le site d'information israélien Walla a rapporté qu'une délégation israélienne avait rencontré les généraux soudanais quelques jours après le coup d'État. Le gouvernement israélien n'a fait aucun commentaire sur le coup d'État ou ses conséquences.
"Les États-Unis et leurs alliés voulaient un partenariat, mais le peuple ne veut pas de partenariat du tout, il veut un gouvernement civil complet", soutient Jihad Mashamoun. "La communauté internationale doit écouter les demandes du peuple". Le représentant du département d'État américain, Ned Price, a déclaré lundi que la réintégration d'Abdallah Hamdok était une première étape nécessaire, mais a suggéré que les généraux devraient faire davantage avant que l'aide américaine ne soit débloquée.
Espoir pour la transition démocratique
Il semble qu'il y ait deux chemins vers la démocratie, tous deux semés d'embûches. Abdallah Hamdok peut travailler avec les généraux pour ouvrir la voie à des élections, en tirant parti de sa position et du soutien international pour remettre la transition politique sur les rails. Mais cela signifie probablement un retour aux tiraillements des deux dernières années, qui ont aigri les deux parties.
Le mouvement pro-démocratie a promis de poursuivre les manifestations de rue jusqu'à ce que les militaires cèdent le pouvoir aux civils. Mais les généraux ont beaucoup à perdre, et une impasse prolongée pourrait déclencher une agitation plus large. "Le résultat pourrait être la démocratie, mais plus probablement la fragmentation de l'État. Un compromis est donc nécessaire", avance Alex de Waal. Le compromis qui rétablit Abdallah Hamdok "n'est pas très bon, mais il y a peut-être des possibilités de l'améliorer."
L'avocate Nafisa Hajar envisage également deux scénarios : si les généraux restent fidèles à leurs promesses, cela pourrait éventuellement conduire le pays vers un gouvernement élu. L'autre conduit à davantage de troubles. "Si l'idée principale de l'accord entre Abdallah Hamdok et Fattah al-Burhan est de rendre les militaires plus présentables devant la communauté internationale, alors les rues ne seront pas tranquilles et il y aura plus de protestations."
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